Histoire et Géographie de Labraunda

Aux temps anciens, le peuple qui vivait au sud-ouest de l’Anatolie, entre les fleuves du Méandre (au nord) et de l’Indos (au sud-est), était connu sous le nom de Cariens. Ceux-ci parlaient une langue indo-européenne propre, proche de celle de leurs voisins de Lycie. À partir de 546 av. J.-C., la Carie passe sous la domination de l’Empire perse et elle est dirigée par un satrape nommé par le Grand Roi, à Persepolis. Au 4e s. av. J.-C., ce satrape est issu d’une dynastie locale dont le nom est dérivé de celui de son fondateur, Hékatomnos (392-377 av. J.-C.). Lui succédèrent ses cinq fils et filles : Mausole (377-352) et sa femme/sœur Artemisia (352-351), Idrieus (351-344) et sa femme/sœur Ada (344-341), puis le benjamin Pixodaros (341-336)

Sous les Hékatomnides, Labraunda abritait le plus important sanctuaire de la Carie. Situé sur les flancs de la montagne du Çomakdag (l’ancien Latmos), ce lieu de culte extra-urbain était dédié à Zeus Labraundos (porteur de la Labrys, la double hache), et l’on s’y rendait depuis tout le territoire de la Carie à l’occasion notamment de festivals annuels instaurés par Mausole et Idrieus. La ville la plus proche, Mylasa (moderne Milas), était située à environ 14 km. Bien qu’aucune trace n’en ait jamais été retrouvée, il est probable que vivait, à proximité de ce sanctuaire, une petite communauté (kome) composée des prêtres et de leur famille, des employés du temple, des esclaves, des ouvriers qui assuraient l’entretien des édifices sacrés et des agriculteurs qui cultivaient les terres sacrées. Labraunda devint rapidement un centre particulièrement important qui fut l’enjeu de nombreuses disputes entre notamment les grandes familles de prêtres et les Mylasiens.

Carte générale de la Carie antique (O. Henry)

Labraunda

Labraunda abritait un sanctuaire bien avant le 4e siècle av. J.-C. Le tout premier temple fut érigé vers la fin du 6e s. av. J.-C. La récente découverte de vestiges du tout début de l’âge du bronze, au pied d’un rocher fendu remarquable surplombant le site, laisse à penser que Labraunda pourrait avoir abrité un lieu sacré dès la fin du 3e millénaire av. J.-C. Le flanc de ce rocher porte notamment une niche profonde rectangulaire, entourée de nombreux aménagements rupestres qui ne sont pas sans rappeler les cultes liés à la déesse mère Kybele/Kubaba.
L’origine du nom de Labraunda est un mystère, pour les auteurs modernes autant que pour les anciens. Pour Plutarque le nom provient de la double hache lydienne portée par Zeus (la Labrys), tandis que pour Elien, le nom proviendrait du grec ‘labros’ qui désignerait le caractère violent et furieux des tempêtes dans cette région. Dans les publications récentes, le nom du site est orthographié Labraunda, mais d’autres formes ont existé dans l’épigraphie ancienne : Lambraunda, Labranda, Labraynda, Labraundena, etc. Cette diversité s’explique probablement par la difficulté d’helléniser un nom propre local dont l’origine est peu clair.

Ve millénaire avant JC
Date des plus anciens tessons de céramiques trouvés

Céramique Labraunda Antik Kenti

497 avant JC
Bataille de Labraunda. Les Perses vainquent les Cariens, les Milésiens et leurs alliés.

Céramique Labraunda Antik Kenti

IIIe siècle au Ier siècle avant JC
Période hellénistique : Activité architecturale importante dans le sanctuaire

Fin du IVe siècle, début du Ve siècle après JC
Fin de l’ancien culte païen et christianisation du sanctuaire. Plusieurs églises sont construites, L’acropole et les bâtiments du sanctuaire sont réoccupés (Andron A, Terrasse M).

Céramique Labraunda Antik Kenti

VIe siècle avant JC
Date des fragments architecturaux les plus anciens appartenants probablement au premier état du temple de Zeus.

Céramique Labraunda Antik Kenti

Environ 392-330 avant JC
Période Hékatomnide. Grand projet de monumentalisation : Andron B et Stoa Nord, forteresse de l’acropole, temple de Zeus, Oikoi, les Propylées Sud, etc.

Céramique Labraunda Antik Kenti

Ier au IVe siècle après JC
Période de la Rome Impériale

Céramique Labraunda Antik Kenti

Les Hékatomnides et Labranda

Labraunda connut sa période la plus faste au 4e s. av. J.-C., en particulier pendant les années durant lesquelles Mausole et sa femme Artémisia (377-352 av. J.-C.) puis Idrieus (351-344 av. J.-C.) dirigèrent la Carie. Selon l’état actuel de nos connaissances, le site se limitait à l’origine à un petit sanctuaire qui occupait une unique terrasse, portant un petit temple distyle in antis, laquelle était accessible par un propylée. À la période hékatomnide, Labraunda devint un élément essentiel du discours politico-religieux mis en place par les dynastes cariens. À cette fin, le site fut profondément remanié. Les travaux accomplis, en l’espace de quelques décennies, par les Hékatomnides au cœur de Labraunda sont hors du commun. On estime en effet que, de la prise de pouvoir de Mausole, vers 377 av. J.-C., à la mort d’Idrieus, vers 344 av. J.-C., y furent réalisés plus de 19 000 m2 de terrassement sur lesquels on n’érigea pas moins de quatorze bâtiments.
Parallèlement à l’aménagement du « cœur » du site, un système de protection complexe se développe au 4e s. av. J.-C. De fait, grâce à la construction de la voie pavée, signalée par Strabon, l’accès au site devenait particulièrement aisé. Aussi les Hékatomnides procédèrent-ils à l’érection de plusieurs ensembles fortifiés destinés non seulement à contrôler cet accès mais aussi à en protéger le territoire. Ces ensembles étaient complétés par une seconde ligne de défense, matérialisée par l’érection d’une véritable acropole fortifiée. Connue grâce à divers textes épigraphiques sous le nom de petra, cette acropole encercle le sommet de l’éminence rocheuse qui domine Labraunda, à une centaine de mètres au-dessus du site.

Les alentours immédiats de celui-ci firent également l’objet de divers d’aménagements. On notera, en premier lieu, l’édification d’un imposant stade, situé à environ 200 mètres au sud-ouest du temple de Zeus. À la même période, apparaissent les premières tombes autour du site. D’abord constituées en groupes de simples fosses taillées dans le sol rocheux, les sépultures occupent rapidement une place particulière dans le paysage avec le développement de sarcophages rupestres installés, pour la plupart, au sommet de grands rochers visibles et parfois agrémentés d’aménagements complexes.

Ainsi, en un peu plus de 30 années, les Hékatomnides transformèrent ce modeste lieu de culte en un véritable centre religieux pan-carien, dont la renommée dépassa largement les frontières de la Carie. Mais la fonction de Labraunda excède sa dimension religieuse. Son architecture particulière et somptuaire, l’édification de bâtiments officiels, tels que les andrônes, véritables salles du trône, et la création d’un complexe réseau de défense entourant le site en firent, par la volonté de ses patrons hékatomnides, la vitrine de la puissance culturelle, économique et politique carienne.

La période post-Hékatomnides

Si l’activité architecturale connut un certain ralentissement après la disparition des Hékatomnides, vers la fin du 4e s. av. J.-C., les recherches récentes ont prouvé qu’elle ne s’arrêta jamais vraiment et que Labraunda resta au centre du dispositif politique et religieux carien au moins jusqu’à la fin de la période romaine, époque à laquelle on érigea notamment trois complexes balnéaires. La transition religieuse au début de la période byzantine y est aussi fortement marquée, avec la construction de deux églises autour des 5e-6e s. ap. J.-C. L’occupation du site se poursuivit jusqu’au 13e s. de notre ère, période à laquelle il semble qu’il soit définitivement abandonné.

Cette longue histoire, protégée de l’urbanisme galopant, permet à Labraunda d’offrir aujourd’hui un témoignage exceptionnel de la culture carienne.