La recherche
Les recherches que nous menons depuis plusieurs années à et autour du site de Labraunda visent à analyser les caractéristiques de la culture carienne, témoin d’importantes interactions qui s’opèrent depuis l’âge du bronze jusqu’aux périodes tardives entre les mondes anatolien, perse et grec. Si l’accent est principalement mis sur le IVe s. av. J.-C., période durant laquelle Labraunda connait son apogée grâce au rôle tenu par le site et son sanctuaire de Zeus Labraundos dans le programme politico-religieux conduit par la dynastie des Hékatomnides, il nous paraît cependant essentiel d’appréhender le site dans toute sa profondeur historique ainsi que dans son contexte régional.
Notre objectif est donc d’ouvrir le domaine des recherches à une vaste équipe internationale composée de chercheurs exerçant dans des disciplines variées, afin de développer une démarche interdisciplinaire et diachronique. L’effectif actuel de l’équipe de Labraunda, placée sous ma direction, comprend aujourd’hui une soixantaine de membres, issus d’une dizaine de nationalités différentes.
Notre démarche comprend plusieurs approches simultanées. La première d’entre elles consiste dans la gestion et le traitement des archives. Après plus de 70 années d’un travail de terrain très efficace, un grand nombre de données doivent en effet être organisées et rendues accessibles aux futurs chercheurs. Il s’agit donc de classer l’ensemble des supports de documentation (cahiers, dessins, photographies), d’assurer la mise à disposition des volumes épuisés ainsi que des travaux de master et thèses de doctorat consacrés au site.
La deuxième action vise à développer des programmes de protection, de restauration et de conservation concernant le patrimoine architectural et le matériel issu des fouilles. Plusieurs projets ont été lancés récemment, tels que le traitement systématique des blocs architecturaux et des inscriptions en marbre, ainsi que la consolidation de l’andrôn A, bâtiment emblématique du site. Concernant le matériel issu des fouilles, trois laboratoires ont été construits sur le site même, au cours de l’été 2015. Un laboratoire, dédié à la conservation du matériel, a été récemment doté d’une station de traitement d’urgence du matériel métallique (cabine de sablage, etc.).
La troisième action vise à élaborer des projets de recherche à moyen et long terme. Plusieurs projets relevant de nouveaux programmes ont ainsi été lancés depuis 2013. Ils portent sur :
1) sur le mécanisme de la conservation de la mémoire à Labraunda, avec notamment l’analyse des chronologies relatives des murs du site et des relations entre les bâtiments « anciens » du site et leur intégration dans le développement post-hékatomnide, mais aussi l’analyse du phénomène de monumentalisation tardive de certains bâtiments hékatomnides, tel que l’autel funéraire construit au pied de la tombe monumentale ou encore la réfection de la stoa nord
2) sur la gestion de l’eau et l’organisation des ouvrages hydrauliques dans un site qui ne comporte pas moins de trois bains et quatre fontaines monumentales à colonnade. Les programmes de fouille concernent quatre secteurs : les bains est ; la fontaine hypostyle, composée d’une triple rangée de sept colonnes ; un bassin de collecte des eaux de ruissellement de 100 m2 et construit dans le courant du 1er s. ap. J.-C. ; et enfin la fontaine dorique, fontaine monumentale tétrastyle in antis érigée par Idrieus
3) sur l’architecture vernaculaire carienne, à travers l’analyse de bâtiments récemment mis au jour qui montrent des caractéristiques locales. Les fouilles sont en cours dans quatre secteurs. Trois des secteurs portent sur la période hékatomnide avec la fouille de la stoa est, du complexe ouest et de l’oikos L distyle in antis localisé à l’entrée du site, le dernier secteur concerne la fontaine hypostyle, entièrement composée de blocs de gneiss (tuiles comprises) dans le courant du 3e s. av. J.-C.
4) sur le développement d’une approche systématique et intégrée de la culture matérielle carienne, à partir du très riche matériel issu des fouilles et encore jamais abordé dans son ensemble ; qu’il s’agisse de la céramique, du verre, du métal, etc. Il s’agit, à près de 90 %, de productions locales cariennes provenant de l’ensemble de la région et apportées à Labraunda par les pèlerins lors de l’organisation de fêtes annuelles. Nous avons donc décidé de nous concentrer sur ces productions locales qui n’ont encore jamais été publiées, plutôt que sur le matériel d’importation, lequel a déjà fait l’objet de plusieurs publications bien qu’il ne représente qu’une infime fraction du mobilier. Cette étude s’intègre à un processus d’inventaire systématique suivi d’interventions de restauration ou consolidation. De la même manière nous avons entrepris depuis 2017 une étude ambitieuse du mobilier métallique mis au jour depuis 1948. Cette analyse s’intègre dans une approche globale qui comprend conservation, restauration, documentation
5) sur le devenir du site de Labraunda aux périodes tardives, c’est à dire depuis la fin de la période romaine jusqu’à la fin de la période byzantine. Il s’agit non seulement d’essayer de comprendre les mécanismes de la transition paganisme/christianisme à Labraunda, mais aussi de définir les modalités de l’occupation du site, de la réutilisation des monuments, de la composition de la population locale, etc. Des travaux préliminaires avait permis notamment de faire un point des connaissances à partir des carnets de fouilles anciennes. Depuis trois ans nous avons relancé ce sujet, d’abord à partir de l’analyse et de la fouille des nombreux aménagements de production (huile, vin), puis en menant une série de sondages localisés autour de l’église ouest. En 2018, ces sondages nous ont permis de révéler la présence d’un important cimetière médiéval
6) sur la terrasse du temple, partiellement fouillée dans les années 1950 mais dont il reste encore beaucoup à découvrir. Depuis 2017, nous avons entrepris le dégagement de la stoa nord, érigée par Mausole et reconstruite dans le courant du 2e s. ap. J.-C. Nous espérons, à cette occasion, mettre au jour des éléments qui pourraient nous en apprendre d’avantage sur le déroulement du culte de Zeus Labraundos, dont on ignore encore à peu près tout
7) enfin, depuis 2017, nous menons une prospection qui concerne une zone de plus de 200 km2 dans la région montagneuse située autour de Labraunda. Cette prospection a pour but de combler les hiatus chronologiques révélés par les découvertes fortuites de ces dernières années et, ainsi, de compléter nos connaissances grâce à une meilleure appréhension des mécanismes du développement de l’occupation de la région, du début du Néolithique jusqu’à la fin de la période byzantine.
Jusqu’à présent ce sont plus d’une trentaine de nouveaux sites archéologiques qui ont été découverts, depuis une belle collection de peinture datant du chalcolithique, jusqu’aux très nombreuses fermes hellénistiques et romaines. On notera également la découverte de trois grandes agglomérations rurales, probablement dépendantes du territoire de Labraunda, dont les périodes d’installations datent du 6e s. av. J.-C. jusqu’à la période byzantine.